L'artiste...
En cet après-midi d’avril, les enfants jouaient dans le grenier. Ninon entendait leurs voix étouffées ainsi que les craquements intempestifs du plancher. Elle était affairée dans la cuisine à préparer quelques volailles tuées au matin. Elles étaient maintenant plumées et vidées. À plusieurs reprises, elle se déplaça jusqu’au bas de l’escalier pour demander un peu plus de calme à sa marmaille ; elle dut même se fâcher réellement pour obtenir ce qu’elle voulait. Elle retourna à ses occupations, ne pouvant retenir un sourire à l’idée de ses enfants en train de jouer ainsi dans cette pièce à l’étage, celle qui servait à stocker les vieilles affaires devenues inutiles. Ce débarras improvisé dans lequel s’entassaient les souvenirs du passé. Elle vint près de sa cuisinière à bois. Munie d’un crochet, elle déplaça le rond central qu’elle posa sur le côté puis attisa ses braises en les mélangeant. Quelques petites étincelles s’échappèrent. La chaleur était vive. Elle passa ses poules et poulets les uns après les autres pour éliminer les restants de petites plumes et duvets. Rapidement, la pièce se remplit d’une odeur de grillé caractéristique. Charles apparut en haut de l’escalier, tout excité.
— Maman ! Maman !
— Quoi donc ? répondit Ninon, concentrée sur sa tâche.
— Maman, on a trouvé ta tête dans le grenier. C’est incroyable, ça !
À ces mots, Ninon comprit tout le sens de l’intervention enthousiaste de son fils. Elle visualisa très bien ce buste en terre qu’elle avait rangé là-haut avec le vain espoir de l’oublier.
— N’y touchez pas ! Il est très fragile et vieux. J’arrive, grommela-t-elle.
Charles disparut aussi vite qu’il était apparu. Ninon mit une bûche dans le foyer puis referma bien vite. Ensuite, elle rangea ses volailles dans la pièce qui servait de garde-manger. Une petite pièce exposée au nord, très basse de plafond, dans laquelle elle stockait ses conserves, légumes frais et différents aliments. Quelques grosses potiches en terre étaient disposées le long du mur, sous les premières étagères. Elle enroula ses volailles dans un linge puis les laissa sur une table centrale. Enfin, elle enleva son tablier et, après s’être désaltérée d’un verre d’eau, s’engagea dans l’escalier. Là-haut, elle se dirigea dans la pièce au bout du couloir. Il n’y avait aucun bruit et les enfants étaient si silencieux qu’il eût été bien difficile de les savoir présents. Elle poussa la porte et les découvrit tous les trois assis au milieu de la pièce, agenouillés devant une boîte en bois. Lucie était affairée à en extirper une pièce importante. La mère s’approcha, quelque peu émue, et vint s’agenouiller elle aussi. Elle stoppa la fillette dans son élan, avec douceur.
— Laisse-la dans la sciure, ma puce. Il ne faut pas la sortir de sa boîte.
— Oh ! C’est dommage, maman. C’est incroyable comme elle te ressemble !
Ninon eut un petit rire et un sourire formidable.
— C’est normal, c’est ma tête. Cela s’appelle un buste.
— Un buste ? répéta Henri. C’est comme une statue mais sans le corps ? poursuivit-il.
— Oui, si tu veux. Un buste ne représente que la tête, confirma Ninon.
Elle reposa la pièce avec soin dans sa caisse, puis répartit la sciure de façon équitable avec un certain attendrissement. Elle prit quelques instants pour l’observer avec un certain amusement mais aussi une nostalgie évidente. Ses doigts vinrent effleurer son front, ses yeux, puis descendirent sur l’arête de son nez. Son index caressa l’arc de cupidon puis glissa jusqu’à la commissure de ses lèvres, s’arrêta sur cette petite excroissance de chair qu’elle portait depuis toute petite juste au-dessus de la bouche, vint enfin se poser sur le menton puis s’envola. Elle regarda ses enfants, souriante et très attendrie.