Le coq...
Dans ce petit village, comme dans de nombreux autres, l’église était un de ces points de rendez-vous incontournables. C’était bien là, l’endroit qui créait l’opportunité de voir ou revoir tel et untel. Les femmes étaient assurément bien plus honnêtes dans leur démarche que certains maris qui voyaient surtout en la dévotion dominicale l’occasion d’aller boire un verre avec les connaissances, dès l’office terminé. Certains ne se déplaçaient d’ailleurs que pour l’estaminet du coin. Il suffisait, par malheur, de s’y arrêter juste avant la messe pour s’y retrouver bloqué bêtement…
Oui, les villageois aimaient leur église et leur curé, qui était un homme bon et aimant. Pourtant, cette église souffrait de plus en plus. Les murs accusaient certaines fissures impres¬sionnantes, mais les plus grandes blessures se situaient tout au faîte, sur le clocher. Les nombreuses années, les intempéries, le fil des saisons avaient endommagé les pans d’ardoise. Quelques-unes étaient déjà tombées, blessant même, un matin, deux petites vieilles qui refaisaient le monde à la parlotte au pied d’un mur. Certaines mauvaises langues avaient dit que les deux commères avaient été punies par le bon Dieu. La justice du ciel n’avait pas tardé à réagir à leurs mauvais pro¬pos. Toujours est-il qu’une des deux personnes avait dû garder le lit quelques jours.
La foudre avait apporté son concours malheureux, elle aussi, en donnant une petite claque gentillette à la girouette. Depuis, le coq avait un petit air penché en arrière, si bien que vu du bas et de profil, le gallinacé donnait l’impression de s’adresser à Dieu et ses saints en personne. L’effronté se per¬mettait même de le regarder et de lui faire face.
C’en était trop que tout ceci. La décision fort sage de ré¬parer l’édifice fut arrêtée, fortement encouragée par l’action bienfaitrice du châtelain d’à côté. Ce dernier possédait quasi¬ment toute la terre environnante ainsi que les maisons. Il avait mis à disposition le financement des travaux, ces mêmes travaux qui touchaient à leur fin en ce mois de juin.
L’équipe de couvreurs qui avaient travaillé à cette tâche était composée de trois ouvriers et de Julien, un apprenti d’une quinzaine d’années. Le plus ancien se nommait Jules, un bonhomme d’une cinquantaine d’années habitant le village, connu de tous, surnommé Tout Là-haut en raison peut-être de ces mots qu’il répétait depuis toujours avant de s’engager sur une échelle. Un bon vivant à la peau maintes fois cuite et recuite par le soleil. Les deux autres étaient plus jeunes. Gaston, surnommé Garennes et Victor, un jeune compagnon de passage dans la région. Le chantier s’acheva en milieu d’après-midi. Sur la place se tenait le patron, en conversation avec le maire, quelques conseillers, monsieur le curé et une poignée de curieux. Tous se félicitaient de cette réfection. Tout un public de spectateurs qui indisposait plus qu’autre chose les ouvriers qui n’aimaient pas sentir les regards dans leur dos, surtout quand il y avait de « grosses huiles » dans le groupe. D’ordi¬naire, c’étaient eux qui pouvaient lorgner le monde en l’obser¬vant d’en haut. C’était tellement plus drôle de voir sans être forcément vu, les passants et badauds n’ayant pas pour habitude de penser à regarder en l’air. Les couvreurs entendaient très distinctement leurs paroles qui aimaient monter au ciel. Il leur était facile de les écouter au passage, mais tout ceci restait bon enfant.
L’ambiance était à la satisfaction. Tout le monde était content de voir le clocher à nouveau habillé de ses jolies ardoises bleutées venues directement d’Angers, acheminées par bateau sur la Loire. On pouvait distinguer quelques élé¬ments de la girouette malgré tous les échafaudages dressés. Le coq s’était fait refaire une santé lui aussi, son axe avait été réaligné et le cuivre dont il était constitué, luisait. Il paraissait comme neuf mais n’était pas encore à sa place de dominateur, tout là-haut, sur la flèche. Certes, son brillant n’allait pas durer avec le temps mais il était plaisant, tout de même, de l’avoir vu dans cet état avant cette future métamorphose. Il trônait au milieu du groupe, admiré de tous.