La blanche...
Les commentaires allaient bon train sur le parvis de l’église. De-ci de-là, de petits groupes jacassaient à mots bas. Chacun conversait poliment de choses et d’autres, mais tout le monde avait à l’esprit l’évènement matinal, cet évènement qui reve¬nait sans cesse dans les conversations. Dans les regards, des sentiments bien étranges : inquiétude, gravité, crainte et angoisse. Il faut dire qu’en ce petit matin, tout avait com¬mencé comme à l’habitude sauf pour une personne…
En ce début d’octobre, dès les premières lueurs du jour, chacun vaquait à ses tâches quotidiennes, mais il se produisit un fait notoire, exceptionnel et surtout très inquiétant. Oui, un véritable incident qui venait de secouer ce petit village solognot pourtant si paisible d’ordinaire. Cet épisode, des plus graves, avait bousculé la quiétude des habitants et enflammé toutes leurs craintes naturelles.
Demeurant dans la rue principale du bourg, René Bourbé, grand bonhomme quinquagénaire, raide de sec, à la moustache rigoureusement taillée, s’était levé aux aurores comme il le faisait toujours. Il était allé rejoindre la propriété du château d’à côté pour y exercer son travail de contremaître forestier. Il avait ouvert la porte, l’avait refermée sans même se retourner, comme à l’accoutumée, puis s’était mis en marche mais sou¬dain, dès les premiers pas, il avait ressenti une sensation désagréable dans le bout des pieds. Il avait inspecté rapide¬ment le sol pour constater que ses godillots laissaient derrière lui des traces. Le sol était pourtant sec et il n’avait pas plu ces derniers temps. Intrigué, il s’était arrêté puis s’était tourné pour découvrir une grande flaque de sang juste sur le pas-de-porte de sa demeure. Il avait piétiné dedans dès sa sortie. Avec surprise et une certaine épouvante, il avait découvert, accroché sur la porte d’entrée, un jeune coq, dont la gorge avait été tranchée d’un trait de couteau bien net. Ainsi sus-pendue, la pauvre volaille s’était vidée de son sang. Les murs, l’encadrement et la porte elle-même avaient été souillés par l’animal probablement sujet à des convulsions dans ses derniers instants. Il y avait du sang partout. On pouvait distinguer que ses pattes avaient été ficelées avec trois brins de jonc se terminant par une boucle, laquelle était passée dans un petit clou en « u » lui-même fiché hâtivement entre deux planches. Comment cette manipulation avait-elle pu être réalisée sans alerter les chiens avoisinants ? René lui-même n’avait rien entendu d’alarmant durant la nuit bien qu’il soit plutôt homme à avoir le sommeil léger. Il est vrai que la chambre à coucher n’était pas située du côté de la rue, mais tout de même. Pourtant, cette mise en scène aurait dû alerter quelques âmes. Il n’avait pas reconnu le coq, ce n’était pas un des siens et la pauvre bête ne lui disait rien.
Cette découverte avait suscité l’émoi des quelques passants matinaux qui s’étaient rassemblés. Même ce grand René, ré¬puté dur et insensible par celles et ceux qui le connaissaient, s’était trouvé tout émotionné par cette découverte. Le garde champêtre l’avait rejoint avec quelques autres curieux, curiosité bien naturelle encore plus forte que leur crainte pourtant réelle. Sur la porte, quelques inscriptions sanguinolentes avaient été ajoutées, ne présentant aucun sens au premier coup d’œil ni même au second. Une croix, quelques points marqués ou taches éparses, signes et sigles incompréhensibles. Cet évène¬ment de mauvais augure avait balayé le village comme un coup de vent, une bourrasque de rumeur et de suspicion. Bertine, la femme de René, alertée par tout ce rassemblement devant chez elle, s’était évanouie dans les premiers instants. Recouvrant ses esprits, elle était devenue inconsolable, la tête perdue dans son tablier qu’elle tenait à deux mains. Qui pouvait bien leur en vouloir à ce point-là ? Comment pouvait-on effrayer les honnêtes gens comme ça, gratuitement ? Deux voisines vinrent la soutenir moralement, deux âmes charitables qui, par la suite, l’aidèrent à nettoyer toutes ces souillures.
— Qui c’est qu’a bien pu faire une chose pareille ? grommela plusieurs fois Raymond, le garde champêtre