Fers de la fortune...
Un jour, vers la fin de l’automne, Rémy Poutier s’en était allé travailler dès le petit matin. Il apportait son aide pour la pêche d’un étang. Cet homme d’une trentaine d’années s’y rendait avec un de ses frères aînés, Yves, et son père, René. C’était une habitude en cette saison. Le travail se terminait sur les coups de midi. Il y avait bien quatre à cinq heures de labeur éprouvant. Les participants touchaient leur salaire en poids de poissons et le propriétaire, un avocat venu de la ville, leur offrait le casse-croûte et de quoi boire avec. Les hommes se félicitaient car le notable possédait ses propres vignes en bord de Loire, quelques dizaines d’hectares sur la rive sud, très bien exposés. Le vigneron élaborait un petit vin tout droit sorti de ses cuves qui méritait l’appellation familière de « su¬périeur » pour les villageois, car le breuvage n’avait rien de commun avec ce qu’ils avaient l’habitude d’avaler. Leur vin quotidien, de moindre qualité, s’appelait familièrement « l’or¬dinaire » et le moins que l’on puisse dire, est que cette appel¬lation était justement appropriée. C’était une belle journée malgré la fraîcheur piquante matinale. L’ambiance était bonne, comme chaque fois en de pareilles occasions.
Le soir, une bonne partie de la famille Poutier se retrouva, comme de coutume, chez René. Léontine, la maman, avait profité du poisson à disposition pour préparer deux grosses carpes farcies dont elle seule avait le secret. Sa recette, ainsi que ses talents de cuisinière, étaient très appréciés. Lors du repas, le grand-père, Camille, patriarche alerte et taquin de quatre fois vingt ans, interpella la tablée et plus particulière¬ment son fils et ses petits-fils.
— Avez-vous trouvé les fameux fers durant vot’pêche, les enfants ?
René regarda ses fils en souriant.
— Non, pépère, je n’les ai pas vus. Ce sera peut-être pour la prochaine fois… C’est bien dommage car ils seraient bien tombés !
Yves et Rémy échangèrent un sourire complice. Au bout de la table, le vieil homme avait les yeux brillants. Certaines personnes ne comprirent pas cette conversation à double sens, surtout la demi-douzaine de petits-enfants âgés de six à dix ans.
— Vous vous demandez bien ce que cela peut être que cette histoire de fers, hein les enfants ? dit Rémy.
Tous répondirent par l’affirmative, excités par cette énigme.
— Oh, c’est une très longue histoire ! ajouta le vieux Camille, amusé par cette réaction encourageante des enfants. Voulez-vous que je vous la raconte ?
Tous répondirent en chœur, spontanément, la curiosité attisée.
— Alors, je vais vous la raconter… mais quand vous aurez fini de manger tout ce qu’il y a dans vos assiettes. Je veux voir les assiettes toutes blanches ! Une fois le repas terminé, on s’installera devant la cheminée et j’vous la conterai cette histoire, mes petiots… car il faut vraiment que vous la connaissiez, on ne sait jamais !