Les girolles...
L’été touchait à sa fin. La campagne changeait de couleur sur un rythme tranquille et immuable. Quelques corbeaux tournoyaient au-dessus d’un champ fraîchement labouré. Sur un chemin défoncé, Jean, plus connu sous le surnom de Jean-Jean, avançait de son pas sûr. Il dansait entre les flaques boueuses déposées par les dernières pluies, plus ou moins importantes. Soudain, il sauta le fossé pour se jeter dans un buisson épais. Là, il attendit avec grande concentration, tous les sens en éveil. Bientôt, plusieurs hommes passèrent à son niveau sur le sentier sans même remarquer la présence du rôdeur qui s’était fondu dans la végétation. Ils étaient bien trop animés par leur discussion. Jean-Jean les connaissait bien, c’étaient des ouvriers du château qui s’en retournaient au village, la journée achevée. Il les suivit de son regard noir profond, souriant sous sa barbe brune et dense. Il les retrou¬verait certainement le soir même chez le Gros Émile. Cela l’amusait de les espionner ainsi ; être là sans être vu, c’était bien là un de ses passe-temps préférés. Cet exercice, il le pra-tiquait depuis sa plus tendre enfance. Ce jeune homme avait la maraude dans le sang et ses quelque vingt printemps lui donnaient toute l’énergie pour le faire. Le soleil finissait sa course, la lumière allait décroître bientôt, il fallait se dépêcher maintenant. Le nez dans les fougères, il lança un regard circulaire au niveau du sol puis, ravi, s’exclama à mi-voix :
— Oh bah… regardez-moi ce gros pépère qui se cache là !
Effectivement, à deux pas de là, trônait un magnifique cèpe de Bordeaux d’une taille plus qu’honorable. Jean-Jean dégagea une grosse limace orange qui s’apprêtait à passer la nuit dessus pour s’en rassasier. Il cueillit le champignon avec précaution, essuya le pied et le chapeau puis le cala sous son nez, dans sa grosse moustache. Il inspira profondément, à plusieurs reprises, heureux.
— Mon dieu qu’ça sent bon que c’t’affaire là.
Il inspecta les lieux avec minutie.
— Allez, ils sont où tes petits frères, hein, ils sont où ? Ohhhh ! souffla-t-il à nouveau.
Il découvrit une demi-douzaine de spécimens dont deux encore plus gros que le premier. Il les rassembla au pied d’une talle de noisetier sous une fougère.
— Allez les copains, vous n’bougez pas d’ici. Je repasserai vous prendre tout à l'heure, car je n’suis pas v’nu pour vous mais pour les petites cousines, fit-il avec un large sourire.
Le jeune homme reprit le chemin pour le remonter sur quelques centaines de mètres. Là, il s’engouffra dans le bois opposé et marcha tout droit, se frayant un passage entre les fougères et les brémailles. Bientôt, il profita d’une sente em¬pruntée régulièrement par le gibier. Il fit bien attention à ne pas laisser une seule trace de ses pas derrière lui car il ne savait que trop qu’il n’avait pas le droit de se trouver ici.
Cet endroit se situait sur une propriété privée, la plus grande du canton. Sa présence ne poserait pas franchement de gros problèmes, mais en fin de journée comme celle-ci, cela aurait plutôt éveillé quelques soupçons. Le châtelain tolérait que l’on puisse y vaquer, ne serait-ce que pour ra¬masser du bois mort, par exemple. Cependant, les gardes qui régnaient sur le domaine ne le voyaient pas du même œil. Comme pour beaucoup de leurs homologues, les fruits de cette Sologne leur permettaient de compléter leurs salaires avec des compléments de revenus substantiels. Certes, la chasse des nuisibles comme le renard ou le blaireau leur offrait des primes ; cette pratique faisait partie de leur mission. Mais, il y avait aussi quelques coutumes, des arrangements quelque peu malhonnêtes passés avec des ramasseurs de champignons, mais aussi des braconniers qui faisaient com¬merce avec les villes des alentours. Des manants qui payaient sous le gilet les gardiens arrangeants qui savaient baisser les yeux pour leurs intérêts. La politique en place était : « Je ne dis rien : tu ramasses, tu prélèves ou tu prends, mais en échange, tu payes. » Cela était vrai particulièrement sur le domaine de la Héronnière où les gardes avaient mis en place une vraie économie parallèle à l’insu de monsieur Blanchot, le riche propriétaire. Autant dire que les visiteurs comme Jean-Jean n’étaient pas les bienvenus, surtout qu’en cette période, les champignons donnaient à plein et les champignons étaient une véritable obsession pour notre jeune ami.