Il y a ceux-là et puis les autres…
L’histoire de Grand-Courlis n’est autre que celle de Paul Pinson, un garde-chasse qui avait la réputation d’être une sacrée peau de vache. Ben oui, il y en avait aussi. Un homme très grand et sec. Arrivé au terme de sa carrière, il cessa d’exercer son activité avec un réel regret, car ce garde était des plus zélés. Ce travail, c’était toute sa vie. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir que de se lever le matin pour rejoindre le domaine dont il avait la charge. Il veillait à protéger le gibier des nuisibles et se montait intraitable avec eux. Il posait des pièges avec succès. Il était la terreur des fouines, des renards, de toutes ces petites bêtes qui figuraient sur cette liste des nuisibles et vous l’aurez compris, les braconniers y figuraient en bonne place, eux aussi.
À ce jour, il mène une retraite paisible. Peu de monde lui rend visite et il n’y a rien d’anormal à cela, car de nombreux habitants ont eu affaire à ce personnage. De près ou de loin, de nombreuses personnes l’ont croisé sur la propriété qu’il surveillait : rappel à l’ordre, conseils, procès-verbaux, confiscation de gibier, fusils, pièges et champignons. Ce bonhomme n’a pas bonne réputation au village. On le voit au matin. Il vient chercher son journal et prendre un verre au comptoir. S’il dit plus de dix mots à cette occasion, c’est bien le maximum. Pas bavard le gaillard. Un rituel bien rodé. Il reprend le chemin de sa maison avec une démarche boiteuse, s’aidant d’une canne. Cette démarche qui lui donne une allure chaloupée.
Dans cette petite commune de Sologne, si vous deviez faire une enquête sur ce garde-chasse, personne ne vous parlerait de Paul. Dans la rue et en public, vous n’essuieriez que des refus. Cependant, en audience à huis clos tout le monde se soulagerait volontiers en baissant quelque peu la voix. Ainsi, on vous conterait par exemple l’anecdote des sœurs Buffet qui allaient maudire ce garde toute leur vie, et ce depuis leur plus tendre enfance. Et pour cause. La ferme des Buffet se situait pas très loin de la propriété gardée par Grand-Courlis et pas très loin de chez nous. Moi, je les connaissais très bien les sœurs Buffet. Je faisais les quatre cents coups avec elles et j’allais les rejoindre quand elles gardaient les vaches, notamment. Nous avons en commun des souvenirs que nous n’oublierons jamais, comme cette fois où nous chassions les papillons, accompagnés de Follette, leur chienne. À notre insu et pour notre plus grand désarroi, une des vaches s’était fait la belle. Après des heures de recherche infructueuse, je me sentais responsable autant que les deux sœurs. C’était la panique générale. La perte d’une vache était juste impensable. Nous envisagions le pire. Peut-être s’était-elle sauvée dans les bois tous proches pour s’enliser dans une de ces zones marécageuses ? Pour accentuer nos peurs,Follette avait disparu elle aussi. Cela en faisait trop. Nous nous étions résignés à rentrer à la maison avec le reste du troupeau et l’âme en peine.